Observatoire Europe-Afrique 2030
Le développement de filières manufacturières compétitives et durables
en Afrique demeure une priorité absolue
Résumé
Un rapport récent de l’OCDE [1] dresse un constat sans concession du retard croissant de l’Afrique en matière de productivité, de parts de marchés et d’emplois dans le secteur manufacturier. Il suggère que les moteurs de la compétitivité de l’Afrique peuvent différer de ce qu’ont connu les pays d’Asie de l’Est, où l’industrialisation s’est appuyée sur l’essor du secteur manufacturier. Quelques commentaires à ce rapport permettent de lever d’éventuelles ambigüités, en particulier sur la signification du terme « services ».
Le rapport récent de l’OCDE [2] intitulé « Dynamiques du développement en Afrique – Réussir la transformation productive » dresse un constat sans concession du retard croissant de l’Afrique en matière de productivité, de parts de marchés et d’emplois dans le secteur manufacturier :
- Le ratio Afrique/Asie de la productivité de la main d’oeuvre est passé de 67% en 2000 à 50% actuellement. Depuis 2000, la productivité du travail en Afrique reste bloquée à 12% du niveau des États-Unis.
- Les niveaux d’efficacité de la main-d’oeuvre et de productivité des entreprises éthiopiennes de confection sont inférieurs de respectivement 45 et 30% à ceux des entreprises du Bangladesh et du Kenya.
- Les exportations africaines de biens de consommation à destination des marchés africains sont passés de 0,8% à 0,5% du PIB du continent sur la même période.
- En 2017, les biens non transformés représentaient pratiquement la moitié des exportations africaines (48,7%), contre 10,1% dans les pays en développement d’Asie.
Le rapport souligne également que le rythme de la transformation productive et les politiques engagées par les gouvernements pour transformer leurs systèmes de production varient d’une région d’Afrique à l’autre :
- En Afrique australe, les pays sont confrontés à un risque de désindustrialisation prématurée. La part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB total est en repli depuis 2000. La stratégie d’industrialisation de la Communauté de développement de la région s’appuie sur un plan d’action définissant six pôles prioritaires : agro-industrie, extraction et valorisation des minéraux, produits pharmaceutiques, biens de consommation, automobile et services modernes.
- En Afrique centrale, la région est fortement dépendante des matières premières, qui représentaient 85% de ses exportations totales en 2017, contre une moyenne de 51% pour l’Afrique. A lui seul, le pétrole assure pratiquement la moitié des rentrées en devises. Les gouvernements cherchent à s’appuyer sur des produits offrant une valeur ajoutée supérieure et un avantage comparatif, comme le bois, la pierre et le verre.
- En Afrique du Nord, certaines économies opèrent une diversification dans des activités plus intensives en technologie quand d’autres comptent sur l’exportation des ressources naturelles, notamment le gaz et le pétrole.
- L’Afrique de l’Ouest est tributaire des exportations de produits non transformés issus des industries extractives et de l’agriculture. Gros exportateurs de produits de base non transformés, les 15 pays de la région sont à la traîne en termes d’industrialisation, de compétitivité et de progression dans les chaînes de valeur.
Le rapport note également que les entreprises africaines tendent à être trop déconnectées les unes des autres, ce qui interdit le transfert de technologies et de savoir-faire. Les liens en amont et en aval sont relativement ténus :
- Les liens en amont : Dans les entreprises kenyanes bénéficiaires d’investissements directs étrangers, 66% des biens et des services intermédiaires sont importés, contre 25% au Vietnam.
- Les liens en aval : 3% seulement des entreprises kenyanes bénéficiaires d’IDE produisent des intrants pour d’autres entreprises kenyanes, contre 61% au Vietnam.
Les liens régionaux entre entreprises sont eux aussi insuffisants. Le niveau moyen d’approvisionnement à l’échelon régional en Afrique n’atteint pas 15%. A titre de comparaison, l’approvisionnement intrarégional en Asie du Sud-Est ressort à plus de 80% des exportations dans des filières comme les véhicules à moteur, le textile et la confection et les produits informatiques, électroniques et optiques.
Seul point positif pointé par le rapport : Les pays africains connaissent un succès grandissant dans la constitution de pôles industriels. Les pôles d’activité récents, comme le port de Tanger-Med (Maroc), l’Eastern Industry Zone et le parc industriel d’Awassa (Ethiopie) et la ZES de Kigali (Rwanda) sont parvenus à attirer des entreprises de calibre international dans des secteurs comme l’automobile, l’aéronautique, le textile, la confection ou l’industrie de la chaussure. Ces résultats offrent un contraste saisissant avec l’échec des précédentes ZES que les entreprises et les gouvernements ont le plus souvent fini par abandonner, faute de liens suffisamment étroits avec les économies régionales.
Partant de ce constat, le rapport développe l’argumentation suivante :
- Les moteurs de la compétitivité de l’Afrique peuvent différer de ce qu’ont connu les pays d’Asie de l’Est, où l’industrialisation s’est appuyée sur l’essor du secteur manufacturier. Le processus d’industrialisation ne peut plus être envisagé à travers la seule croissance du secteur manufacturier, dans la mesure où ce dernier est de plus en plus tributaire des services et d’autres secteurs. Entre 25 et 60% des emplois dans les entreprises manufacturières sont liés aux fonctions de support – comme le transport, la logistique. En 2015, les services entraient à hauteur de 40 % à 42% dans la valeur ajoutée de la filière manufacturière en Egypte, en Ethiopie et au Kenya. Les pouvoirs publics doivent donc se concentrer sur les chaînes de valeur stratégiques et non pas uniquement sur les industries manufacturières.
- Les politiques de transformation productive de l’Afrique doivent dépasser l’ancien schéma d’industrialisation axé sur le soutien aux activités manufacturières ou aux secteurs industriels. Elles doivent couvrir d’autres activités productives, comme l’agriculture moderne et les services, en tenant compte des spécificités africaines et de l’évolution rapide de la conjoncture internationale. La complexité de l’appui à la transformation productive exige une stratégie systémique capable de dépasser la seule volonté de se débarrasser des défaillances de marché entravant la production et la délivrance des services. Cette démarche se démarque des politiques de « sélection des gagnants » déployées dans le passé.
Commentaires
- Le rapport utilise le terme « services » dans deux sens distincts : d’une part les services « en général » (le secteur tertiaire), d’autre part les activités de services intrinsèques à l’organisation des filières manufacturières et nécessaires à leur bon fonctionnement (approvisionnements, distribution logistique, marketing…).
- Le développement d’un secteur manufacturier compétitif et durable en Afrique est l’une des clés de la croissance et de l’emploi pour le continent africain dans son ensemble. Il est aussi stratégique que le développement des services et de l’agriculture et ne doit pas être négligé.
- Les freins au développement de filières manufacturières compétitives ne sont pas seulement liés à l’environnement des affaires. Les entreprises manufacturières africaines souffrent également de handicaps structurels auxquels il faudrait remédier en priorité avec des outils appropriés qui n’existent pas aujourd’hui : manque d’intégration régionale en amont et en aval, faible taille des entreprises, manque de compétences au niveau des services associés à la chaîne logistique. Les politiques sectorielles mises en œuvre depuis 20 ans ont été des échecs sur ce plan.
- Il faut donc penser en termes de « filières », en optimisant l’ensemble de la chaîne logistique, et non pas seulement en termes de processus de production au sens strict.
[1] « Dynamiques du développement en Afrique–Réussir la transformation productive » – 2019 – Union Africaine/OCDE Développement.
[2] Id.1